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Patrice De Mazières, un r’bati du fond de la jarre
Publié le : 21/09/2020 - Ameskane Mohammed
Dans la nuit du 8/9 juin 2020 s’est éteint à Rabat l’architecte/artiste Patrice de Mazières de Chambon. Retour sur un parcours exceptionnel.
On ne peut parler du destin et des créations de Patrice de Mazières sans évoquer l’histoire de l’architecture marocaine. Son nom reste intimement lié aux débats, à l’effervescence et aux projets novateurs qui ont marqué la scène architecturale nationale dans les années postcoloniales. Né en 1930, après l’obtention du baccalauréat à Rabat, Patrice s’envole pour Paris et intègre l’Ecole Nationale d’Architecture. Une spécialité qu’il a dans les gènes. Son grand père maternel n’est autre que le grand Adrien Laforgue à qui on doit, entre autres, la gare de Rabat et la cathédrale Saint Pierre. Lauréat en 1956, il rentre au bercail, travaille avec son père Serge quelques temps - avec qui il signe l’école Lamartine de Rabat - avant de fonder en 1962 son cabinet avec, comme associé, ami et complice Abdeslam Faraoui.
On venait de lancer le grand projet, chapeauté par Fardid Ben Embarek, de la reconstruction de la ville d’Agadir dont une grande partie fut engloutie par le tremblement de terre de 1961. Le Binôme Patrice / Abdeslam rejoint ses ainés Louis Riou, Henri Tastemain, Elie Azagury et autre génial Jean-François Zevaco. Pour l’anecdote le grand le Corbusier a été invité par le prince Moulay Hassan pour imaginer la nouvelle Agadir. Il débarqua à Rabat pour confier au futur roi que le Maroc possède une élite de jeunes architectes capables de faire le travail à sa place. Nés au Maroc dans leur majorité, ils choisissent d’y rester après l’indépendance. En vrais patriotes, on leur doit la « marocanisation » de l’architecture moderne internationale.
Après les grands chantiers de l’équipe Prost et le néo-mauresque, la tendance est au brutalisme. Des villas « californiennes » émergent sur la cote casablancaise. La villa Suissa, conçu par Zevaco, est considérée par la presse spécialisée internationale comme icône de la modernité casablancaise. C’est dans cet esprit que Patrice de Mazières et Abdeslam Faraoui dessinent et réalisent projet sur projet. Des commandes publiques et privées, entre sièges administratifs, écoles, hôpitaux, hôtels, immeubles, villas… qui jalonnent le territoire national. Une architecture épurée faite de béton et de tons blancs lumineux.
Les deux complices au - delà du métier d’architectes avec ses contraintes ont la fibre artistique. Dans l’effervescence du débat national sur la culture, la naissance de la revue Souffle, naissance de l’école des beaux arts de Casablanca avec les Belkahia, Melehi, Chebaa…, les galeries fondées par les compagnes Pauline de Mazières et Leila Faraoui, l’Atelier à Rabat en 1971 et Nadar à Casablanca en 1973… Patrice et Abdeslam font appel aux artistes pour des intégrations dans leurs projets.
Quelques mois avant son décès Patrice de Mazière a fini par déposer gracieusement une grande partie de son fond aux Archives du Maroc. Un joli coup réussi par leur directeur Jamaä Baida, avec la complicité de Pauline de Mazières. Des centaines de rouleaux de plans et croquis qui seront numérisés et mis à la disposition des chercheurs, étudiants d’architecture et d’historiens.
Comment citer toutes les réalisations de Patrice ! Il suffit de voir la faculté de médecine de Rabat, les hôtels Almoravides à Marrakech avec la porte en cuivre signée Farid Belkahia, les gorges des Dadès et les roses de Todgha à Kelaâ Mgouna. Ces deux derniers sont conçus dans le respect des traditions et des sites de ce Maroc de l’arrière pays avec des panneaux et plafonds de Mohamed Melehi et Mohamed Chebaâ. La dernière réalisation de Patrice de Mazière est le fameux Mahaj Ryad dont il a chapeauté la réalisation.
Difficile de présenter Patrice de Mazières dans un article succinct. On attend avec impatience la sortie du livre « 100 ans d’architecture au Maroc » et un hommage national à l’un des piliers de notre architecture sinon de notre culture en général.