Portrait
Maud Houssais
Publié le : 21/09/2020 - Sortir
Rabat, c’est ma mémoire. Lorsque je me promène dans Rabat, je suis accompagnée par une infinité de micro-souvenirs des espaces de la ville.
Quel est votre parcours ?
J’ai fait l’école des beaux-Arts de Bourges en France et lors de ma quatrième année, en 2011, j’ai eu la chance de commencer à travailler en tant que stagiaire à L’appartement 22, un lieu indépendant pour l’art créé par Abdellah Karroum en 2002 à Rabat. J’ai continué à collaborer avec cet espace, occupant différents rôles, jusqu’en 2016.
Depuis 2011, j’ai commencé, depuis le Maroc, à tisser un réseau d’amis artistes, chercheur.euse.s et commissaires d’exposition. Ces rencontres m’ont permise de travailler sur différents projets d’expositions et de recherches au Maroc mais aussi à l’international. Je pense notamment à l’exposition Volumes Fugitifs curatée par le commissaire d’exposition franco-iranien Morad Montazami en 2016. Cette exposition organisée au Musée MMVI de Rabat était consacrée à l’artiste Faouzi Laatiris, et mettait également en lumière des artistes qui se sont épanouis par le biais de son enseignement à l’école des Beaux-Arts de Tétouan. Cette expérience a été un jalon dans ma carrière, car c’est l’un des premiers projets professionnels que j’ai mené à titre individuel. J’ai collaboré avec Morad et l’équipe de sa maison d’édition Zaman Books & Curating au volet scientifique du catalogue de l’exposition.
Autre moment important, le projet Bauhaus Imaginista, curaté par deux commissaires d’exposition que j’admire, Marion von Osten et Grant Watson. Pour ce projet, j’ai été commissaire d’exposition adjointe à la recherche. Mon travail consistait à réunir des œuvres et des archives mettant en exergue la transmission des théories du Bauhaus dans les cercles artistiques du Maroc, notamment en relation avec l’école des Beaux-Arts de Casablanca. Le point d’orgue de ce projet a été l’exposition organisée au Cube — independent art room — en 2019, pour plusieurs raisons : montrer le fruit de mes recherches avec un artiste que je respecte profondément, Kader Attia, curaté une exposition dans un espace d’art qui a une place particulière dans mon cœur, le Cube, créé par Elisabeth Pizkernik en 2005, s’entourant d’une équipe de femmes de talent : Gabrielle Camuset et Zineb Sbai El Idrissi.
Autre marqueur important dans mon parcours, l’exposition Modernités Nomades organisée à Kulte — center for contemporary art and editions à Rabat, espace fondé par Yasmina Naji qui propose une programmation pointue depuis 2013. Cette exposition a été curatée en 2017 par Yasmina Naji, Morad Montazami et moi-même. Elle retrace les vingt d’ans d’activité de la galerie d’art moderne indépendante L’atelier, créée à Rabat par Pauline de Mazières en 1971, puis rejointe par Sylvia Belhassan en 1973.
J’éprouve de la gratitude d’avoir pu croiser la route de ces espaces d’art indépendants courageux, comme le Cube, Kulte et L’appartement 22, car ils sont le poumon de la création contemporaine et assument des responsabilités lourdes tout en se battant quotidiennement pour survivre économiquement.
Comment êtes-vous venu à l'Art ?
D’aussi loin que je me souvienne, l’art est présent dans mon environnement. J’ai toujours eu un lien étroit avec la création, de près ou de loin. D’abord par la pratique, en mettant les mains dans l’argile, la peinture, le textile, puis par la théorie, notamment en reprenant un cursus en histoire de l’art à l’Université Paris Nanterre en 2018.
Quels sont vos projets aujourd’hui ?
Je travaille actuellement sur un projet de publication dédié à l’école des Beaux-Arts de Casablanca, durant la période où Farid Belkahia était directeur dans la décennie des années 60. Epoque bouillonnante durant laquelle un mouvement artistique cosmopolite s’est mis en œuvre pour faire sortir l’Art du carcan trop restreint dans lequel on l’avait enfermé durant la période coloniale. La commissaire d’exposition indépendante Fatima-Zahra Lakrissa et moi-même menons cet ouvrage qui sera publié prochainement par la maison d’éditions Zaman Books & Curating, fondée par Morad Montazami.
Je poursuis également un travail de recherche sur la période des années 60 - 70 au Maroc en m’intéressant notamment au moment où les artistes participent à l’agrandissement du territoire de l’art en collaborant avec des cinéastes, des architectes, en ouvrant des studios de graphisme et d’aménagement d’intérieur ou encore en organisant des expositions dans l’espace public.
J’essaye également de transmettre ma passion pour l’art, notamment aux plus jeunes. J’enseigne dans différentes écoles et j’ai également créé le projet l’Art f’Dar, qui vise à transmettre l’histoire des arts par la pratique, en organisant des ateliers pour enfants et adolescents notamment. Enfin, je suis également la trésorière de l’association culturelle The Minority Globe, fondée en 2009 par l’artiste et activiste Reuben Yemoh Odoi, pour qui l’art et la culture sont une terre en partage qui permet de combler le fossé des divisions sociales et communautaires.
Quel lien avez-vous avec Rabat ?
Rabat, c’est ma mémoire. Lorsque je me promène dans Rabat, je suis accompagnée par une infinité de micro-souvenirs des espaces de la ville. En tant que chercheuse, je travaille beaucoup avec le passé, et j’ai parfois l’impression qu’à mes propres souvenirs, se superposent ceux que je vis par procuration et qui m’ont été confiés. Le passé et le présent se fondent, tissant cette relation singulière que j’entretiens avec la ville. Les plus beaux souvenirs sont peut-être ceux racontés par mon amie Pauline de Mazières et son mari et architecte Patrice de Mazières décédé récemment mais dont la pensée résonne encore dans les murs des immeubles et des maisons qu’il a construit dans la ville. J’aimerais penser que je puisse aider à transmettre cet héritage. Que la terre lui soit légère.